L' actu
du SNEA
La rentrée approche et, avec elle, la saison des avenants… Comme chaque année, votre directeur vous annonce le nombre d’élèves que vous aurez, et vous demande de signer l’avenant modifiant votre volume horaire. Ça vous semble parfaitement normal, « tout le monde fait ça », et vous signez.
Mais est-ce vraiment normal ? Et si, cette année, vous refusiez de signer ?
Quelques petits rappels pour commencer. En France, la forme normale et générale du contrat de travail est le CDI : ce n’est pas pour rien, c’est précisément pour assurer une stabilité de l’emploi sur la durée (pas pour que le salaire change chaque année). Ce contrat induit des obligations pour les deux parties : par exemple, le salarié doit travailler et l’employeur doit lui fournir du travail. Ce dernier point est important, on y reviendra plus tard. Le principe-même du contrat induit aussi des interdictions : ni le salarié ni l’employeur ne peut modifier unilatéralement un élément essentiel du contrat (le salaire ou le volume horaire par exemple).
Une baisse d’élèves, qu’est-ce que ça veut dire ? Il peut y avoir une multitide de facteurs entraînant une baisse d’effectifs (structurels, conjoncturels, pédagogiques, réglementaires, etc.) Mais dans tous les cas le résultat est le suivant : votre employeur ne vous fournit plus assez de travail. Or, on l’a vu, vous fournir du travail est une de ses obligations : en ne le faisant pas, il commet une faute (et même un « manquement grave », selon la jurisprudence).
La logique voudrait donc qu’il fasse tout son possible pour éviter de commettre ce manquement et remplir votre classe (au moins essayer… en gros, rendre l’institution plus performante sur ce point… c’est son boulot, avec votre aide le cas échéant mais fondamentalement c’est SA responsabilité). Or que se passe-t-il la plupart du temps ? L’administration se contente de constater une baisse d’effectif et d’ajuster les heures. Parce que « c’est comme ça qu’on fait ». C’est tout confort pour l’employeur, qui se débarrasse ainsi de sa responsabilité sur le salarié.
Il y a quand même un hic : comme on l’a vu plus haut, l’employeur ne peut pas changer votre volume horaire sans votre accord écrit (l’avenant). S’offrent alors à lui deux solutions, les plus répandues que j’ai pu constater en 22 ans d’activités syndicales :
1. passer outre. Oui, vous avez bien lu, et je pense même que c’est la solution la plus fréquente : changer votre salaire sans avoir proposé d’avenant, ne pas attendre votre signature pour l’appliquer, le rédiger n’importe comment (par exemple, sans indiquer son motif) ou, ma préférée, carrément marquer dans le contrat que le volume horaire pourra être modifié chaque année. Tout cela est bien évidemment parfaitement illégal et vous obtiendriez sans problème un retour aux conditions de votre CDI (voire une requalification à plein temps si votre temps de travail n’est pas clairement défini).
2. vous le faire accepter comme une norme. « C’est normal, on ne va quand même pas vous payer pour un travail que vous ne faites pas » (ou comment transférer sa propre faute au salarié – jouer sur la conscience, la bonne vieille méthode). Ben si : ce n’est pas le travail qui donne droit à un salaire, mais le fait de se tenir à la disposition de l’employeur (jurisprudence constante de la Cour de cassation). À l’employeur de fournir le travail. Ce dernier est d’autant plus convaincu de la justesse du procédé qu’il lui a été conseillé de faire de cette manière ; on lui a même fait croire que cette pratique était attachée à la convention collective (un comble !) Résultat : « tout le monde fait comme ça » donc c’est normal, et puis comment voulez-vous faire autrement, mon entreprise ne tiendra pas le coup, on n’est pas un établissement public nous, et puis on est bénévoles, bla, bla.
Et si on raisonnait à l’envers ? Le CDI est un engagement réciproque à une relation stable dans le temps => il est de ma responsabilité d’employeur d’assurer cette stabilité par tous les leviers dont je dispose (qualité de la communication, du projet d’établissement, politique tarifaire, recherche de financements, etc.) Mais ce n’est pas le sujet ici. Juste pour dire qu’il ne serait peut-être pas inutile d’insuffler une autre manière de penser dans ces établissements.
Alors, signer ou ne pas signer ? Allons un peu dans l’aspect juridique des choses.
Comme indiqué plus haut, une modification d’un élément essentiel de votre contrat de travail ne peut être faite sans votre accord. L’employeur doit dans ce cas vous proposer un avenant au contrat qui vous lie. Vous pouvez accepter ou refuser la modification. Si vous l’acceptez, les dispositions prévues à l’avenant viendront directement modifier votre contrat. Si vous les refusez, deux options :
1. l’employeur renonce à la modification, et votre contrat reste inchangé ;
2. l’employeur décide de rompre votre relation contractuelle : il doit alors vous licencier en s’appuyant sur le motif de l’avenant et en respectant la procédure correspondante (à noter que, bien souvent, aucun motif n’est indiqué dans l’avenant, ce qui rend a priori le licenciement sans cause réelle et sérieuse).
S’il s’avère que le motif est économique, sachez que le licenciement économique suite au refus de l’avenant par le salarié est possible si et seulement si toutes les conditions suivantes sont remplies :
– la modification porte effectivement sur un motif économique ;
– la proposition de modification a été adressée au salarié par lettre RAR ;
– ce courrier indique expressément au salarié qu’il dispose d’un délai d’un mois pour accepter ou refuser l’avenant ;
– ce délai est effectivement respecté par l’employeur ;
– les difficultés économiques de l’entreprise sont caractérisées par une des raisons mentionnées à l’art. L1233-3 du code du travail ;
– l’employeur a préalablement mis en œuvre toutes les mesures susceptibles d’éviter le licenciement économique (adaptation, reclassement…)
Bon là, normalement, vous commencez à comprendre que vous ne risquez pas grand-chose à refuser un avenant, sauf réelles difficultés financières de votre structure (ce qui peut être le cas, attention, mais ça doit être chiffré et justifié). Je ne peux pas donner de réponse « systématisée » quant à ce risque de licenciement économique. Je peux simplement vous dire que je n’ai encore jamais vu un employeur associatif parvenir à justifier un licenciement économique suite à une baisse du nombre d’élèves. Je constate en revanche qu’il existe une « culture de l’avenant », bien implantée, laissant croire que la pratique consistant à modifier chaque année les termes d’un CDI est normale et acceptable. Cette véritable remise en cause d’un des fondements de notre droit du travail doit à mon sens être combattue. Je m’y attèle au pôle juridique du SNEA, où dans la plupart des dossiers je conseille de refuser les avenants (qui dans 90% des cas sont de toute façon rédigés avec les pieds ou totalement hors cadre légal).
Bonne rentrée à tous (sans perte de salaire !) et bravo aux employeurs bénévoles associatifs, nombreux malgré tout, qui parviennent à gérer leur structure sainement et sans précariser leurs salariés.
(et syndiquez-vous !)
Rédaction : Jean-François Lagrost